Par Dominique Laperle
C’est avec beaucoup d’enthousiasme que nous avons été accueillis à la bibliothèque Champlain de l’Université de Moncton par la professeure Phyllis E. LeBlanc et le doctorant Mathieu T. Martin, dans le cadre de ce colloque qui se penchait sur la mission apostolique et les contributions des communautés religieuses à des œuvres et des institutions vouées à l’éducation, à la santé et à l’aide aux démunis dans les Maritimes. L’idée de la tenue de ce colloque à Moncton découlait du mandat que s’était donné la SCHEC, au tournant de 2015, de renouer les contacts entre les chercheurs du Québec intéressés à l’histoire religieuse et ceux présents dans les milieux universitaires francophones minoritaires.
Après des rencontres réussies au Manitoba (Université de Saint-Boniface, 2018) et en Ontario (Collège universitaire dominicain, 2019), il nous semblait opportun d’organiser un colloque en Acadie et d’étudier les œuvres charitables de l’Église dans la région. C’est d’autant plus important que la sécularisation rapide de la société canadienne ne devrait pas oblitérer la contribution importante de l’Église et des instituts de vie consacrée à l’organisation d’institutions et de services pour des populations souvent mal desservies, à travers les époques, par les différents paliers de gouvernements.
Une ouverture sur l’Acadie et le monde
Sans l’avoir privilégié au moment de l’appel à communications, nous nous sommes retrouvés avec une large palette de présentations centrées sur les congrégations apostoliques féminines, ce qui nous a permis de mesurer l’apport non négligeable des femmes à l’élaboration du tissu social dans la région, mais aussi de leur capacité d’agir dans des sphères non traditionnelles, notamment sur le plan politique et linguistique. De plus, par le hasard des propositions, d’autres régions canadiennes (l’Ouest canadien, le Bas-Saint-Laurent québécois) et des missions internationales (le Gabon et l’Indochine) ont fait l’objet de communications.
Ces différentes perspectives ont permis de comparer et de dégager les particularités du déploiement catholique dans les Maritimes, mais aussi ses traits communs avec les réalités du reste du Canada ou d’ailleurs. Signe des temps, ce colloque comptait cinq présentations en ligne en provenance de Montréal, de Paris, d’Edmundston, de Québec et de Strasbourg.
L’Acadie en historiographie
Après le mot d’ouverture de Dominique Laperle, vice-président de la SCHEC, la conférence d’ouverture, Écrire l’histoire religieuse acadienne : bilan et prospection, permettait au nouveau professeur adjoint d’histoire au campus d’Edmundston de l’Université de Moncton, Philippe Volpé, de survoler 234 titres d’une historiographie toujours en croissance. Il nous a démontré que cette histoire, avant son institutionnalisation universitaire, demeurait l’apanage du clergé qui creusait inlassablement le sillon traditionaliste de l’épopée héroïque et de la survivance des Acadiens.
La professionnalisation de nouvelles générations d’historiens religieux et laïcs est venue modifier ce regard dans une chronologie qui s’apparente à celle du Québec. On voit ainsi poindre une historiographie critique, fruit des travaux de Régis Brun et Michel Roy qui décriaient la domination d’une théocratie et les retards que les clercs avaient ainsi imposés à la société acadienne pendant près d’un siècle. D’où, selon Volpé, un certain effacement de l’histoire religieuse dans les publications de la décennie suivante. Il faudra attendre ensuite les travaux de Léon Thériault et ceux d’Eloi de Grâce pour qu’un nouveau regard soit posé sur l’héritage religieux à travers les nouvelles perspectives de l’histoire socioculturelle.
Philippe Volpé a particulièrement noté les collaborations construites entre les praticiens des Maritimes et du Québec, notamment sur les questions du folklore et de la religion populaire. À travers un propos toujours riche, Volpé nous a permis de bien saisir que les historiens acadiens des années 1980 et 1990 inscrivaient leur propos dans les grandes tendances historiographiques (histoire quantitative, histoire des mentalités, microhistoire, etc.) qui permettaient finalement de sortir l’histoire acadienne du récit canonique ancien en analysant davantage les réalités socio-économiques et politiques du peuple et de normaliser, en quelque sorte, son passé.
L’historien d’Edmundston confirmait aussi que l’histoire des femmes demeurait négligée, engloutie dans l’ensemble des œuvres. Des angles comme la vie intime, les émotions ou, en histoire religieuse, l’expérience missionnaire, le parent pauvre de cette historiographie. Dans une finale qui élargissait, sous un angle interdisciplinaire, les prospectives d’avenir, Volpé complétait son brillant survol par une réflexion (à poursuivre) sur la problématique de la mémoire et du patrimoine d’une collectivité minoritaire. Bel exercice de synthèse historiographique, on espère que les lecteurs de la Revue d’histoire religieuse pourront goûter plus en détail, toutes les nuances que ce résumé ne peut rendre tout à fait.
Pouvoir et identités
On le comprend, la table était mise pour un congrès captivant. Les auditeurs ne furent pas déçus par la présentation de la sociolinguiste Isabelle LeBlanc qui s’interrogeait sur le rôle des religieuses dans le militantisme féminin pour la préservation de la langue. Habilement, elle a démontré que l’expression « gardiennes de la langue », si souvent employée du côté féminin, devrait plutôt être remplacée par celle de combattante. La lutte et l’agentivité des sœurs contre les inégalités linguistiques se sont rapidement fait comprendre à travers l’exemple de la spectaculaire rupture de 53 sœurs acadiennes, membres de la très irlandaise congrégation des Sisters of Charity. La communauté n’acceptait tout simplement pas la création d’un noviciat francophone.
Frustrées de ne pas être respectées, les Acadiennes sont massivement sorties afin de fonder la congrégation des Sœurs de Notre-Dame du Sacré-Cœur. Un geste d’opposition qualifié par la professeure LeBlanc, « d’agir linguistique ». Elle nous a ensuite amenés du côté de la presse étudiante (Le journal Bleuette du Collège Notre-Dame d’Acadie) afin de mieux saisir cette presse comme un espace militant de production identitaire. Elle concluait sa présentation en confirmant le rôle fondamental des religieuses dans la sauvegarde du français au Nouveau-Brunswick.
Dans une volonté comparatiste, les organisateurs avaient ensuite laissé la parole de Clélia Lacam, doctorante en histoire africaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne qui a reçu récemment le prix français Mnémosyne pour son mémoire de maîtrise publié aux Presses Universitaires de Rennes en 2023 : Le Bleu et le Noir. Jeux de pouvoirs dans une mission catholique féminine (Gabon, 1911-1955). Sous le titre, Soigner, dominer, s’émanciper. Œuvres médicales missionnaires et logiques d’autorités féminines (Gabon, années 1890-1930), la doctorante parisienne a évoqué l’action médicale des Sœurs bleues de Castres et des Petites Sœurs gabonaises de Sainte-Marie. Malgré la domination des médecins, des missionnaires et des administrateurs militaires, la subalternité des religieuses n’entraîne aucunement leur passivité.
En mission, l’activité sanitaire est en effet souvent assignée aux femmes occidentales. Elles pratiquent la charité, travaillent à sauver les âmes et les corps et entretiennent l’éthos chrétien du care et de la compassion. Certes, au départ, on parle beaucoup de vocation des femmes, mais la professionnalisation qui s’ensuit entraîne une transformation des rôles dans les hôpitaux et les dispensaires éloignés des centres administratifs. Les femmes missionnaires ne restent pas cloîtrées et cette pratique itinérante leur permet de gagner du pouvoir. Toutefois, elles participent à l’impérialisme métropolitain et à un maternalisme médical. On soigne l’esprit et le corps en cherchant à convertir les malades et on multiplie les baptêmes in articulo mortis. Cela étant, certaines religieuses élargissent leur action apostolique en multipliant les baptêmes de gens bien portants, au grand dam des prêtres missionnaires qui y voyaient une émancipation religieuse et l’accaparement d’un rôle réservé aux seuls hommes consacrés!
On note aussi que les sœurs bleues rejoignent plus facilement les femmes gabonaises et les enfants que les prêtres, ce qui démontre bien la capacité d’agir et leur importance. Néanmoins, ces femmes consacrées demeurent porteuses de préjugés culturels raciaux et tentent d’éliminer tout ce qui apparaît contraire à la civilisation et aux pratiques d’hygiène occidentales. D’ailleurs les sœurs gabonaises étaient séparées des sœurs françaises dans une autre congrégation. Il faudra attendre les années 1960 afin de voir les Sœurs bleues ouvrir leurs rangs aux Gabonaises. Il y a donc, pour les Africaines, une double subalternité subie. Un bel exposé qui permettait aussi de revenir, lors de la période de questions, sur les rapports entre Irlandais et Acadiens, mais aussi du rapport entre les missionnaires acadiens et les peuples qu’ils côtoyèrent en terres lointaines.
Régions et religion
Après une pause pleine d’échanges et de rires, la séance suivante débutait avec l’étude de Mathieu T. Martin, étudiant au doctorat à l’UQAM avec Magda Fahrni et Catherine Foisy. Dans sa communication intitulée, Les religieuses hospitalières de Saint-Joseph (RHSJ) et leur mission dans la région nord-ouest du Nouveau-Brunswick, il réhabilitait la contribution des RHSJ dans l’élaboration d’une série d’institutions (collège, sanatorium, hôpital, école d’infirmières, foyers pour personnes âgées) dans la région du Madawaska. Il démontrait aussi leur empreinte économique à travers l’impact de leurs fermes et d’une briqueterie. Le poids de la sécularisation et des décisions des gouvernements du Nouveau-Brunswick sur l’ensemble de ce réseau n’a pas été oublié non plus. Les RHSJ y subirent des coups dont elles ne se remirent jamais.
Dans sa deuxième partie, sa réflexion s’est centrée sur le concept de la mémoire en lien avec le 150e anniversaire de cette congrégation dans la région. Les festivités et les activités liées aux fêtes ont également mis en évidence le constat, bien connu en histoire, que la mémoire se déploie de différentes manières, entre autres, selon les expériences personnelles et les générations. Une communication riche, dynamique qui laisse poindre un chercheur passionné et engagé.
Dans la même veine, mais pour une autre région de la province, Florence Ott analysait la même congrégation. Dans L’œuvre des Religieuses Hospitalières de St-Joseph dans le Nord-Est du Nouveau-Brunswick : 150 ans de dévouement et de rayonnement (1868-2018), l’archiviste et historienne française qui enseigne la gestion de l’information à l’Université de Moncton, campus de Shippagan, a su compléter la première présentation en étoffant la liste des exemples, notamment avec le cas du lazaret de Tracadie.
Simon Balloud, postdoctorant à l’Université de Montréal suivait avec Femmes, religieuses et missionnaires. Les Filles de la Croix dans la Prairie (1904-1914). En quête d’un refuge après le vote de lois anticongréganistes (1901-1904) en France, les Filles de la Croix s’installent au Manitoba en 1904, puis en Saskatchewan l’année suivante. La congrégation y prend en charge plusieurs écoles et couvents au sein de paroisses francophones. Dès 1905, à l’appel des Oblats de Marie-Immaculée (OMI), les religieuses travaillent également dans trois pensionnats autochtones.
Comment ces religieuses étrangères s’insèrent-elles dans un contexte missionnaire et colonial inconnu et comment s’y adaptent-elles individuellement et collectivement ? C’est la question centrale à laquelle la communication a répondu. Dans une démonstration à la structure impeccable, Balloud a su illustrer comment ces religieuses exilées ne se sont pas laissées contrôlées par Mgr Langevin, au point d’unilatéralement mettre fin à leur gestion des trois écoles résidentielles autochtones qui leur avait été confiée. Un bel exemple d’autonomie féminine en lien avec un sujet délicat.
Cette capacité de rebondir, on l’a aussi perçu aussi dans la présentation du professeur du département de géographie de l’Université Laval, Étienne Berthold, qui revenait sur le cas de figure de ses travaux, les Sœurs du Bon-Pasteur de Québec et leur vision du travail et du patrimoine social. C’est l’imposant travail d’encadrement des femmes à travers leurs établissements que Berthold analysait. Les cadres et les programmes d’action ont connu une certaine spécialisation à compter des années 1930, incitant les Sœurs du Bon-Pasteur à investir les sphères du travail social professionnalisé. Cette incursion a essentiellement été orientée autour d’une forme de contribution au développement de la philosophie et, jusqu’à un certain point, de la méthodologie de l’intervention individuelle (casework), centrée sur la personne.
En explorant les positions de sœurs directement engagées dans le mouvement de professionnalisation du travail social, de même que les tensions observées avec les professionnelles laïques, Étienne Berthold a su faire ressortir les particularités des programmes d’action de trois établissements de la congrégation associés à cette entreprise, soient les Maisons Sainte-Madeleine, Saint-Charles et Notre-Dame-de-la-Garde.
Sa présentation était suivie par celle de Dominique Laperle qui articulait la sienne sur les sœurs grises, à partir du même concept (Nouveau jalon en histoire du patrimoine social : le cas des foyers et des couvents des sœurs grises au Nouveau-Brunswick (1944-2009)). L’auteur a expliqué qu’en acceptant la demande faite par le Conseil de Comté de Madawaska et les autorités religieuses, les sœurs grises de Montréal ont su inscrire, dans les œuvres, un patrimoine particulier qui a rapidement dépassé l’univers strictement religieux et s’est ancré dans les dynamiques sociales, économiques et politiques de la région. Après leur départ, des traces de leur identité spirituelle persistaient dans des œuvres devenues laïques.
La journée des congressistes comprenait aussi les visites des archives du Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson menée par l’archiviste Erika Basque et du MR21, le Monument de la reconnaissance du peuple acadien, c’est-à-dire la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption de Moncton et son magnifique spectacle immersif. Après la visite de ce joyau religieux, les congressistes se retrouvaient au restaurant Catch 22 afin de continuer à discuter et se détendre.
Nouveaux regards sur la santé et l’éducation
La deuxième journée débutait avec la communication de Marie de Rugy, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg. Elle nous a plongés dans le cas des léproseries des Franciscaines Missionnaires de Marie en Indochine française et en Birmanie britannique, au XXe siècle. Sa présentation nous a permis de mieux comprendre leur formation, leur rôle en tant qu’infirmières dans les léproseries et leur positionnement par rapport à la politique d’enfermement prônée par les gouvernements coloniaux.
Elle a donc, dans la veine des travaux actuels en histoire de la santé, nuancé le caractère total de ces institutions pour montrer, au quotidien, comment ces microsociétés évoluaient, en temps de paix comme en temps de guerre, en s’appuyant notamment sur un corpus intéressant de photos qui permettaient de construire, chez les donateurs, une certaine image de la mission et aussi de la dimension civilisatrice de leur œuvre. Preuve de la pertinence de sa présentation, les questions qui suivirent permirent de tracer des comparaisons intéressantes avec l’œuvre auprès des lépreux des Sœurs hospitalières de Saint-Joseph à Tracadie.
Éric Désautels, membre du conseil d’administration de la SCHEC et chercheur indépendant, nous a ensuite entretenus des sœurs blanches à Antigonish. Elles y avaient fondé une maison d’études à proximité de l’Université St-François-Xavier, afin d’y suivre un programme d’études à l’Institut Coady. Cette sorte d’École populaire permettait aux acteurs et actrices de développer des modèles de coopération. La renommée de cette « école Antigonish » devint mondiale. L’Université accueillait des laïcs, des religieuses et des prêtres du monde entier offrant ainsi un nouveau modèle d’action applicable notamment en terre de mission. Les sœurs blanches furent donc influencées par ce contexte et cette formation. La maison des sœurs blanches, appelée White House, permit à de nombreux membres de la congrégation de développer un leadership social, tout en devenant un pôle d’attraction et de recrutement pour les femmes de l’Est du Canada.
La particularité de la communication de Désautels est de faire connaître un pan méconnu de leur histoire : celle de leur aventure dans les Maritimes dans les années 1960 et 1970. Malgré tout, l’aventure des sœurs blanches se termine en 1981. Cette fin abrupte concorde avec le début du déclin du missionnariat canadien-français dans son ensemble, entre autres pour l’activité apostolique en Afrique. À partir de sources d’archives et de témoignages, l’auteur a très bien démontré le bilan de l’expérience des sœurs blanches dans les Maritimes et a su montrer qu’une petite maison, située dans une petite ville de la Nouvelle-Écosse, peut avoir de grandes répercussions sur les personnes, les visions et les œuvres.
Sous le titre À la recherche du matrimoine culturel immatériel des sœurs hospitalières : le cas d’une recherche participative avec les Filles de la Sagesse d’Ottawa, Marie-Ève Larivière, candidate au doctorat en sociologie à l’Université d’Ottawa nous a initiés au concept de matrimoine. On peut le résumer à une perspective féministe de l’héritage des femmes, à un legs immatériel de gestes, de pensées et d’approches qui construisent une manière de faire et d’être. Elle a présenté une enquête effectuée dans une maison de retraite de la congrégation montfortaine des Filles de la Sagesse. Afin de valoriser le matrimoine culturel immatériel des sœurs hospitalières du Canada dans le cadre de la formation infirmière des étudiantes de premier cycle de l’Université d’Ottawa, cette recherche participative exploratoire a mis en relation des étudiantes-infirmières et des sœurs retraitées actives auprès de la communauté francophone d’Ottawa.
À travers des rencontres hebdomadaires entre les binômes étudiantes-religieuses et d’une technique de photo-élicitation à partir d’archives visuelles telles que des albums photo, les étudiantes-chercheures ont tissé des liens avec les sœurs hospitalières, explorant avec elles leurs parcours de vie. Au fil des semaines, les sœurs se sont graduellement livrées à elles, partageant leurs souvenirs d’enfance, dévoilant leurs motivations à entrer dans la vie religieuse, les différents parcours les ayant menés à la vocation d’infirmières ou à travailler dans les soins de santé. Dans l’intimité de ces rencontres, les sœurs partageaient leurs choix, leurs accomplissements, mais également leurs doutes et leurs hésitations, voire certains épisodes difficiles. Ces échanges ont été le lieu d’une actualisation des savoirs et savoir-faire des hospitalières retraitées à travers un rôle de mentore auprès des étudiantes. Les relations qui se sont tissées entre les religieuses et les étudiantes-infirmières ont permis à ces dernières de confirmer le choix de carrière, tout en jetant un nouveau regard sur cette carrière, notamment sur les valeurs et la place de la spiritualité dans le soin. Cette approche participative exploratoire a ainsi permis, à travers ces échanges intergénérationnels un transfert mémoriel significatif pour l’identité des étudiantes et des sœurs.
Cette belle présentation fut suivie d’un panel sur le rôle des congrégations religieuses dans l’édification des instances d’éducation supérieure. Sous la présidence de Phyllis E. LeBlanc, Nicole Lang, professeure retraitée d’histoire acadienne et canadienne au campus d’Edmundston de l’Université de Moncton, et Nicolas Landry, professeur d’histoire retraité du campus de Shippagan de l’Université de Moncton, grand spécialiste de l’histoire des pêches au Canada atlantique et auteur de plusieurs monographies sur des institutions scolaires catholiques, ont discuté dans une ambiance décontractée. Les trois spécialistes se sont longuement épanchés sur leurs parcours, les particularités de leur pratique historienne en lien avec le religieux et sur les enjeux d’avenir sur ces questions.
Retour vers l’histoire orale
Le clou du congrès fut néanmoins la séance complète intitulée Femmes, mémoire et religion. Les archives des religieuses du Saint-Rosaire comme révélateur régional. Karine Hébert et Jean-René Thuot, tous deux professeurs à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), Guillaume Marsan, archiviste à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) au Bas-Saint-Laurent-Gaspésie et Marie-Ève Lajeunesse-Mousseau, étudiante à la maîtrise à l’UQAR, se sont lancés dans la présentation d’un projet qui n’est rien de moins que formidable.
En 2019, le centre d’archives de BAnQ à Rimouski recevait 40 mètres de documents linéaires, plus de 43 000 photographies et des bandes audio de la Congrégation Notre-Dame du Saint-Rosaire, fondée en 1874 à Rimouski. Cette communauté enseignante qui a œuvré dans tout l’est du Québec possède des fonds d’archives qui offrent une plongée exceptionnelle dans la compréhension spatiale et humaine de son œuvre missionnaire. Un projet de partenariat entre l’UQAR, BAnQ et la congrégation est né.
L’équipe de l’UQAR s’est lancée dans une démarche d’enquête orale à l’automne 2022 et qui a donné lieu à la captation vidéo de 13 entrevues de plus d’une heure avec des religieuses ayant œuvré dans tous les coins de l’Est-du-Québec, de la Gaspésie à la Basse-Côte-Nord, en passant par Rimouski, le Témiscouata et la Matapédia. Devant une audience captivée, les Rimouskois ont expliqué la démarche autour des entrevues, leur captation et aussi tous les impacts émotionnels que toutes ces révélations provoquaient chez les religieuses, mais aussi sur la belle bande de Rimouski. La présentation de brefs extraits vidéo renforçait, dans le public, l’idée de la qualité exceptionnelle du matériel archivistique amassé, de l’expérience unique d’histoire orale qui défilait sous les yeux de tous et les bénéfices à long terme de ce projet sur la mémoire collective.
Les historiens sont revenus ensuite sur les mutations de l’œuvre enseignante depuis les années 1960, la constitution d’archives et les liens avec la mémoire institutionnelle, les enjeux féministes portés par les religieuses dans un contexte de déconfessionnalisation de l’éducation. Il demeure difficile de tracer, de manière détaillée tout ce qui fut dit. Notons au passage l’expérience très particulière de nombreuses religieuses auprès des peuples innus de la Côte-Nord. En passant des décennies au même endroit, ces religieuses ont su recréer une communauté à l’extérieur du Bas-Saint-Laurent. Les liens de sororité et de solidarité qui se sont tissés se sont transposés dans une conviction alimentée par une foi profonde de ne jamais être seule à travers les activités quotidiennes et un engagement sur un territoire dont la magnificence s’est imposée dans leur esprit.
Guillaume Marsan a ensuite expliqué comment seront conservées et mises en valeur les entrevues filmées, les photos et les documents, notamment à travers la requalification de la maison mère de la congrégation. La question des relations avec les Premières Nations sur les territoires qu’elles ont desservies a fait l’objet de commentaires sérieux qui manifestent l’idée de « saupoudrer un peu d’autochtonie dans tout cela ».
Dans la partie finale présentée par Marie-Ève Lajeunesse-Mousseau (Des religieuses en territoire autochtone. De la Gaspésie à la Basse-Côte-Nord, relations aux gens et à l’espace), les congressistes ont pu apprécier les nuances présentées sur les relations entre les religieuses et les enfants des Premières Nations. Il y avait quelque chose de rafraîchissant, à l’heure où souvent les bilans sur ce sujet sont souvent lourds de sous-entendus, d’entendre une jeune chercheuse dynamique et enthousiaste témoigner avec nuance de ce sujet. Inutile de le dire, la salle était gagnée et en aurait pris encore!
Pour finir, le congrès de la SCHEC à Moncton fut une réussite. À travers les embrassades et les poignées de main, on remerciait à répétition Phyllis LeBlanc, Mathieu Martin et Dominique Laperle, les hôtes accomplis de ces deux journées. Tous espéraient se revoir, en septembre prochain à l’Université de Sherbrooke, car son thème, « Le goût des archives religieuses », promet des échanges aussi stimulants.
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