Rédigé par Dominique Laperle
88e congrès de la Société canadienne d’histoire de l’Église catholique
Le concile Vatican II à l’aune des constitutions des communautés religieuses : évolution, innovations et réformes.
23 et 24 septembre 2022, Centre de spiritualité des Ursulines, Loretteville.
Des retrouvailles
Cette année, le congrès de la SCHEC s’est tenu en personne, à Loretteville, en banlieue de Québec les 23 et 24 septembre. Après le report de celui de 2020 et sa reprise sous forme virtuelle en 2021, il était bon de retrouver universitaires, chercheurs indépendants, archivistes, religieuses et religieux, étudiants et passionnés d’histoire sous un même toit.
Signe des temps, une partie des conférences a été donnée par Zoom et, pour la première fois dans l’histoire de la Société, des personnes ont pu assister aux communications dans le confort de leur foyer, témoignant ainsi que les colloques hybrides sont là pour rester.
Le président de la société a ouvert le congrès en rappelant que ce quatre-vingt-huitième congrès de la Société canadienne de l’Église catholique se déroulait soixante ans après l’ouverture du concile Vatican II (1962-1965). Il a indiqué que le comité organisateur – qu’il dirigeait – avait pu compter sur le soutien de Stéphanie Audet et de Dominique Laperle, ainsi que, dans sa première phase, de Rick van Lier. Enfin, il ne faut pas oublier, dans la bonne marche de l’événement, le discret, mais constant soutien du trésorier de la SCHEC, Sébastien Lecompte-Ducharme.
Le comité avait cru bon orienter ce congrès vers les instituts religieux et questionner les effets de Vatican II sur les règles et les constitutions des différentes formes de vie consacrée. Il s’agit-là de documents normatifs souvent négligés et méconnus en dehors des cercles communautaires concernés et des spécialistes du droit canonique. Ces textes sont des documents essentiels pour comprendre les particularités des différentes formes de vie consacrée sur le plan du charisme fondateur, de la spiritualité, des modalités de fonctionnement et des apostolats.
Il s’agissait dont là d’un prisme par lequel il était intéressant d’aborder, de manière inédite, l’évolution et l’adaptation de la vie consacrée dans le contexte postconciliaire. C’est justement pour approfondir tout cela qu’une vingtaine de chercheurs et de témoins de l’époque ont répondu à l’appel de la SCHEC.
Des constitutions en question
Pour lancer le congrès, notre Société a pu compter sur la conférence du professeur Emmanuel Tawil, docteur en droit canonique et en droit civil, maître de conférences de droit public à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas et chargé d’enseignement aux Instituts catholiques de Lyon et de Paris. Pendant une heure, le professeur Tawil a brillamment parlé du rapport entre les constitutions et le droit canonique depuis le concile Vatican II. Le ton était donné et, très rapidement, l’auditoire a pu constater la haute tenue des communications retenues.
Le professeur Giuseppe Buffon, o.f.m., doyen de la Faculté de théologie de l’Université pontificale Antonianum (Rome), nous a plongé par la suite avec finesse dans ce que Perfectæ caritatis demandait aux instituts religieux, à savoir une révision en profondeur des textes constitutionnels. En nous montrant le poids des discussions autour des concepts de « pauvreté » et de « minorité » au sein des constitutions des Frères mineurs et des Capucins, le professeur Buffon a illustré à quel point la terminologie des constitutions avait fait l’objet d’une attention et d’une reconstruction de sens.
Cette quête de sens fut aussi perceptible chez les Dominicaines de Monteils. Comme le professeur Bernard Callebat de l’Institut catholique de Toulouse l’a expliqué, le diable est dans les détails et les membres de cette congrégation ne s’entendaient pas sur les orientations à donner aux constitutions et à l’adaptatio, ce qui n’a pas sans conséquences sur l’unité du groupe qui a dû faire appel à des spécialistes, periti ou non au concile, qui sont allés de leurs propositions afin d’aider à organiser durant la période ad experimentum des textes normatifs qui allaient dans tous les sens.
Après un intéressant survol de l’histoire des Petites Franciscaines missionnaires de Marie par Christine de Freminville de Lyon, la contribution des chercheurs brésiliens Rodrigo Coppe Caldeira et Vinicius Couzzi Merida sur la fondation d’une communauté traditionnaliste dédiée à Saint-Jean-Marie-Vianney à Campos dos Goytacazes a illustré certaines réticences aux changements voulus par le concile Vatican II.
Ces contributions internationales ont nourri la réflexion de Bernard Hours sur l’urgence de mettre en place une bibliothèque numérique internationale dédiée aux constitutions et autres textes normatifs. Sa conférence nous rappelle l’importance d’inscrire la situation vécue par les congrégations religieuses actives au Québec et au Canada dans une comparaison avec les autres instituts actifs ailleurs dans le monde qui vivaient les mêmes exigences d’adaptation voulu par Perfectæ caritatis et d’autres documents rédigés par les pères conciliaires.
Archives et publications
C’est justement afin d’expliquer le concile et ses textes que de nombreux périodiques catholiques se sont donné le mandat d’offrir à des lectorats variés des clés de lecture afin de mieux préparer la réception de Vatican II et l’adaptation. Dans cette seconde séance présidée par Arnaud Bessières du Pôle culturel des Ursulines, trois communications se sont centrées sur ces moyens de communication. Louis-Joseph Gagnon de l’Université Concordia s’est longuement penché sur la revue La vie des communautés religieuses en montrant que l’horizon d’attente des congrégations était déjà ouvert par quelques années de réflexion. Dès la fin du concile, les auteurs de la revue ont proposé de nombreuses analyses sur le décret sur la vie religieuse et sur ce qui était attendu dans le motu proprio Ecclesiæ sanctæ se sont ajouté à des réflexions déjà anciennes.
Les archivistes de la Province jésuite du Canada, Catherine Barnwell et François Dansereau, nous ont offert une analyste quantitative et qualitative de plusieurs revues soutenues par l’Ordre et ils ont démontré la perméabilité des lignes éditoriales de ces périodiques aux changements de constitutions et à la mission des Jésuites dans la période postconciliaire. Enfin, le doctorant Étienne Lapointe de l’UQAM s’est penché sur le concept de « femme » au sein du Congrès des religieuses tenu à Montréal. Il a montré comment ce petit concile de religieuses tenu à l’aréna Maurice-Richard à Montréal était le miroir des aspirations des 6000 femmes consacrées qui s’étaient réunies afin de réfléchir sur les temps présents et l’avenir. Il apparaissait plein d’espérance pour certaines et moins rose aux yeux d’autres. Comme femmes, elles mesuraient la lenteur d’action des acteurs de l’institution ecclésiale et l’urgence de leurs propres besoins.
À ce chapitre, les nombreuses études de cas présentées lors des deux jours de congrès ont permis de nuancer les rythmes d’adaptation au sein des différentes congrégations, mais aussi de cerner les moments de consensus et de tensions ainsi que les étapes marquantes du processus d’adaptation. Chose certaine, toutes les congrégations se sont mises en état de réception et se sont lancées avec sérieux dans le processus de rénovation.
Sœur Léona Deschamps a su présenter avec humour les statistiques des extraits des textes conciliaires qui ont irrigué les différentes moutures des constitutions des sœurs de Notre-Dame-du-Saint-Rosaire de Rimouski. De son côté, Cassandra Fortin a illustré avec beaucoup d’à-propos les effets des formations bibliques et théologiques sur l’épanouissement intellectuel et spirituel des Petites Sœurs de la Sainte-Famille de Sherbrooke. Sœur Gaétane Guillemette a présenté le travail de réappropriation de la co-fondatrice, Virginie Fournier, chez les Sœurs de Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours et la refonte de la structure de décision au sein de la congrégation.
Un constat similaire a été fait par Claude Auger chez les Oblates de Béthanie quant à leur relation avec leur fondateur, le père Prévost. Dominique Laperle, quant à lui, a comparé le processus de réception et des transformations des constitutions à travers les lettres circulaires des supérieures générales de deux congrégations youvilliennes. Enfin, Michel O’Neill a cerné avec brio l’évolution complexe du statut et des constitutions de la seule communauté nouvelle abordée pendant le congrès, les Petits frères de la Croix.
Témoignages
Il serait inconvenant de terminer ce survol du congrès sans parler du moment phare que fut la table ronde organisée autour de trois témoins de l’époque : sœur Gilberte Baril des Dominicaines missionnaires adoratrices, sœur Lorraine Caza, de la Congrégation de Notre-Dame et sœur Rita Gagné, Ursuline de l’union canadienne. Pendant une heure, les trois religieuses ont partagé leurs souvenirs et leurs réflexions sur cette période charnière de l’Église au Québec, en donnant à voir et à entendre un moment d’histoire vécue unique.
Grâce aux présidents des séances, Karine Hébert (UQAR), Arnaud Bessière (Pôle culturel des Ursulines), Paul-André Dubois (Université Laval), Gilles Routhier (Université Laval) et Martin Pâquet (Université Laval), les séances se sont déroulées rondement. Les participants ont loué la qualité des interventions; le congrès fut un grand succès. Le prochain événement se tiendra à l’Université de Moncton en 2023 et son thème sera dévoilé prochainement.