Au son de l’angélus de midi, le 14 août 1943, les voyageuses, Rita Renaud, Jeannette Roy et Jeannette Beaupré, descendent du train. Elles sont venues répondre aux appels répétés du curé de Tangente en Alberta, le père Louis-Marie Parent, o.m.i., en manque de catéchètes. Ce dernier accueille chaleureusement les trois Montréalaises et leur donne la communion. Malgré leur périple de quatre-vingt-huit heures, elles étaient restées à jeun depuis la veille afin de pouvoir communier. Ensuite, la ménagère du curé, mémère Garon, leur sert une soupe aux mouches – en effet les mouches virevoltent autour de la table – qu’elles mangent avec plaisir…  Leurs pénitences les ont aguerries.

Les nouvelles venues demeureront temporairement dans la résidence de l’infirmière du village présentement en vacances. Le père Parent leur fait visiter le shack qu’il s’est procuré pour elles, une ancienne grainerie devenue un repaire de souris. Au milieu, trône une vieille calèche. Il leur faudra tout nettoyer, restaurer, calfeutrer. Heureusement, leur expérience de l’étable de Pointe-aux-Trembles, transformée en ermitage, les empêche de paniquer devant un tel dénuement.

Leur premier jour en sol albertain se termine par la prière des Complies et des Matines dans la chapelle du presbytère. Le père Parent, qui n’a pourtant pas une oreille musicale, gardera toujours en mémoire le chant de la fin des Complies Je remets, Seigneur, mon âme en tes mains, chanté par ces trois belles voix, avec tant d’âme.

Avec l’aide de Pierre-Paul Pothier, l’ami séminariste de Pointe-aux-Trembles qu’elles retrouvent ici avec joie, la restauration du shack est terminée en deux semaines. Il faut rendre hommage à ces pionnières, des bourreaux de travail qui font des merveilles avec si peu. Bientôt elles apprennent que le manque de catéchètes sera comblé par l’arrivée des Sœurs de Sainte-Croix du Québec. Elles sont donc libérées de leur fonction et choisissent de mener sur place la vie monastique qu’elles avaient inaugurée à Montréal. 

Dès le 19 septembre, le vicaire apostolique de Grouard, Mgr Ubald Langlois, o.m.i., vient visiter le shack des Recluses. On sait que, peu après leur arrivée, Rita et les deux Jeannette choisissent de se faire appeler « Recluses » en l’honneur de Jeanne Le Ber (1662-1714), la recluse laïque montréalaise, dont elles s’inspirent. Monseigneur semble satisfait de son premier contact avec ces filles ferventes, et de l’aménagement du shack. Il permet qu’on y conserve la présence eucharistique. La prière d’adoration du Saint-Sacrement exposé, de même que la prière du Rosaire médité, seront deux caractéristiques de la nouvelle communauté. L’office divin ponctuera la journée des Recluses et le travail aura sa large part. La spiritualité aussi se précise : elle est centrée sur la kénose de Jésus, spécialement dans ses mystères de l’Incarnation, de la Rédemption et de la Résurrection.

Ce récit des premiers jours en sol albertain de ce qui deviendra la communauté des Recluses Missionnaires nous est connu grâce à l’une des fondatrices, Jeannette Roy (1909-1989), qui rédigera son autobiographie en 1982. Ce document d’archives est l’une des sources principales ayant permis à sœur Monique Béland d’écrire l’histoire de la communauté en 2018. Il témoigne des débuts difficiles et des épreuves qui marquèrent les premiers moments des Recluses. Fondées en Alberta, les Recluses Missionnaires sont désormais à Montréal où se situe leur monastère. La naissance de cette communauté contemplative s’inscrit dans la floraison de nouvelles communautés religieuses que l’on observe entre 1940 et 1965, une période encore peu étudiée de l’histoire religieuse.

Archives des Recluses Missionnaires

Source principale : Autobiographie et Histoire des Recluses Missionnaires, par Jeannette Roy (Sœur Jeanne Le Ber), cofondatrice, 1982, 181 p.

Chronique rédigée par sœur Monique Béland, r.m. et tirée en partie de son livre paru en 2018 sous le titre Histoire des Recluses Missionnaires – Genèse.